Au domicile d’une femme réfugiée au Maroc

Article : Au domicile d’une femme réfugiée au Maroc
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25 juin 2019

Au domicile d’une femme réfugiée au Maroc

Anny Marie MANGUMBE est une congolaise engagée pour la cause  des femmes subsahariennes au Maroc. Elle figure parmi les 7 138 réfugiés et demandeurs d’asile. Entre vie associative et débrouillardise, elle parvient tant bien que mal à joindre les deux bouts.

Il est midi. Dame Anny passe la journée à la maison, en ce mardi 4 juin, veille de la fête de l’Aid El Fitr au Royaume chérifien. A Sidi Moussa, ce quartier populaire au bord de la mer, à Salé, le soleil est mi-figue mi-raisin. La brise marine caresse le visage des milliers de jeûneurs. Le marché du coin tonne de mille bruits. Cet endroit de commerce jonche les deux côtés de la route. Les bruits s’intensifient au fur et à mesure qu’on s’y approche.

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Anny MUGUMBE sort les poulets dans le four de sa cuisine à Sidi Moussa. CP: Hippolyte Batumbla

Des appartements de Sidi Moussa se dévoilent au visiteur après une petite distance parcourue sur la bretelle droite de la chaussée. Et c’est dans une de ces modestes maisons que logent Anny et son mari. Une cuisine, une douche, un petit salon et une chambre à coucher forment le logis. Elle apparaît avec un foulard de tête et des habits qui se marient avec sa corpulence. Visage tendre et sourire aux lèvres, la quadragénaire avance au milieu de la maison. Elle prend place à même le sol sur le tapis rouge et la causerie commence. Dame Anny hésite un instant puis articule le mot ‘’bienvenue’’ avec le ton d’une mère attendrie. Cette hospitalité qui ne passe pas inaperçue se noue parfaitement avec celle du Maroc des émirs, pays du phosphate et du tourisme.

A 12 heures 30 minutes, le muezzin de la mosquée fait un appel aux nombreux musulmans du coin pour la prière.  Cette heure coïncide à l’instant même où d’un geste maternel, dame Anny Marie indique le salon. Les précisions sont faites pour l’entrevue. Elle donne son aval par un sourire suivi d’un signe d’acquiescement par la tête. Elle entame donc la causerie.  Elle aborde directement son insertion sociale au Maroc qui est un parcours du combattant. Présidente de l’Association de femmes réfugiées et migrantes au Maroc, elle encadre et forme les femmes réfugiées subsahariennes aux activités génératrices de revenu. L’association compte 10 membres dans le bureau et a formé plus de 50 femmes récemment. « Les femmes subsahariennes souffrent le martyr au Maroc. Nous voulons les aider avec les moyens du bord. Nous voulons également qu’elles connaissent leur droit et surtout qu’elles parviennent à se prendre en charge », dit-elle en renouant son foulard de tête.

Elle ajoute que les femmes réfugiées en général ont du mal à s’intégrer sur le marché du travail marocain même avec un diplôme. La plupart d’entre elles étant des femmes de ménage ; bon nombre ne faisant pas forcément partie  des 7138 réfugiés et demandeurs d’asile reconnus par le Haut-Commissariat pour les Réfugiés (HCR). Pour elle, les femmes subsahariennes sont nombreuses à faire encore la mendicité ou la prostitution.

Entre temps, son mari M. Jean, veut se rendre utile. Il s’assure que tout va bien puis s’arrête un moment avant de sortir de la maison. Son épouse sourit légèrement. Ensuite, elle croise les jambes au sol, jette le regard sur ses documents, avance la main, tire finalement le terroir de la table. Elle y sort sa carte de présidente d’association. Elle montre par la suite une lettre écrite en arabe classique. C’est elle qui officialise la mise en place de sa structure au Maroc.  La dame se positionne sur le côté droit et continue sa causette.

Une battante rompue à la tâche

Sur la petite table du salon, dame Anny soulève des colliers rouges, blancs, bleus… C’est elle qui les confectionne au prix de 20 à 25 dirhams selon la qualité. Toujours pour mettre un point d’honneur, elle part sur Casablanca, achète des poulets, les fume au four puis les revend à domicile, souvent aux étudiants au prix de 30 dirhams l’unité. Ces poulets fumés se vendent par commande. Elle vend aussi du poisson et des légumes, des feuilles de manioc ; des mets prisés par les subsahariens.  Des fois, elle fait des faveurs aux apprenants pour qui, elle prépare lors de ses temps libres. Sinon dans une journée ordinaire, cette femme tente le tout pour le tout. « Je vends tout ce que je trouve pour ne pas attendre de quelqu’un », confie celle qui a fui la guerre dans son pays d’origine, la République démocratique du Congo.

Elle arrête momentanément de placer des mots. Le souvenir de son départ lui revient. Là, sa voix vacille. Puis elle confie ceci : « Mon pays est exposé aux guerres tribales interminables. Passant des journées la peur au ventre, j’ai fini par fuir. Je suis venue en Centrafrique où mon chemin a croisé celui d’une femme qui m’a été d’un secours inoubliable. C’est finalement en 2013 que j’ai rejoint mon mari au Maroc puisque nous étions en contact ». Toute chose qui fait que la dame s’éloigne de la politique ; selon elle, grâce aux politiques les gens s’embrasent partout dans le monde.

L’astre du jour se cache toujours dans les nuages au milieu de la journée. La météo annonçait ce temps ténébreux hier. A 13 heures 05 minutes, dame Anny soupire profondément. Puis elle enchaine avec ses difficultés au quotidien.  Le poulet qui ne se vend pas tout le temps, ou encore son mari qui souffre du cancer. S’ajoute le manque d’argent pour faire face à cette maladie qui ronge depuis des années son conjoint. Au-delà de sa nostalgie sans remède, il lui arrive de penser à ses quatre enfants qu’elle a dû laisser derrière elle au pays de Patrice Lumumba. D’ailleurs si dame Anny a quitté Hay nada pour aménager à Sidi Moussa, c’est bien pour des raisons économiques.

Soudain, son téléphone sonne. Ça y est ! C’est parti pour une conversation en lingala, cette langue de son Congo natal. Une, deux, trois, quatre minutes s’écoulent. Elle parle avec son mari qui s’assure encore une fois que tout se déroule convenablement. Finalement, elle raccroche le téléphone puis reprend la parole. Sa voix est rassurante puisqu’elle ne vacille pas du tout.

S’il y a un événement qui la choque, c’est bien la mort d’un jeune homme récemment. Tout à coup, son visage se crispe. Ce souvenir est présent.  Elle soulève la tête et fixe le plafond comme en prière ; puis confie doucement : « C’était un jeune respectueux et dévoué pour sa réussite. Mais il est mort à la fleur de l’âge. Si vous avez des enfants et vous voyez cela, forcément c’est un sentiment de tristesse qui habite votre cœur de mère ».

Il faut dire que si cette amazone surmonte des difficultés au Maroc, c’est parce qu’elle est aussi une femme de prière. Pas étonnant qu’elle s’exprime aisément : c’est une évangéliste pratiquante. Deuxième personnalité de son église après le pasteur, elle rend visite aux familles   majoritairement subsahariennes et parmi lesquelles figurent 30 mille fidèles chrétiens étrangers en terre marocaine. « Nous organisons souvent les campagnes d’évangélisation », renchérit-elle tout en montrant les photos de ces campagnes sur le mur du salon.

Maman Anny comme l’appelle son entourage, est également une femme engagée au service de la communauté congolaise du Maroc notamment pour l’émancipation des femmes congolaises.  Chaque lundi, elle les entretient sur la foi en Dieu autour des versets bibliques.

Une terre de refuge

L’horloge indique 15 heures piles. Finalement, elle enlève le foulard de tête puis se dirige vers la cuisine pour vérifier les poulets dans le four. Elle revient, s’installe à la même place.  A la question de savoir qu’est-ce qui l’a marqué au Maroc, sa réponse est sans équivoque. MANGUMBE ne regrette pas son arrivée au royaume chérifien, « sa terre d’asile et de paix ». Elle dit être réconfortée quand elle se souvient de son tragique départ à Bunia à l’Est de la RDC.  Son objectif du moment reste la quête de nouveaux partenaires et gagner un siège social digne de nom pour l’association qu’elle préside depuis 2017.

Elle reste tout de même optimiste en ce qui concerne la création d’une activité commerciale à plein temps au Maroc, compte tenu du pouvoir d’achat favorable aux affaires. Cette amazone qui allie vente de poulets, de perles et de légumes, souhaite également ajouter une autre corde à son arc si les moyens lui permettent, c’est-à-dire investir dans l’immobilier sur place.

Il est 16 heures 07 minutes. Et c’est en ce moment précis que la dame plaide solennellement pour toutes les femmes réfugiées au Maroc. « Je voudrais que le gouvernement marocain  aide ces femmes qui viennent de loin, à obtenir le titre de voyage », lance-t-elle debout avec à la main le chargeur de son téléphone.

Anny Marie MANGUMBE lance un signe d’au revoir au seuil de son appartement. A côté sur la bretelle gauche, le petit marché de Sidi Moussa grouille de plus bel.  Aussi, les bruits des vagues de la mer se mêlent-ils à ceux des véhicules sur la chaussée. Demain, c’est la fête de Ramadan au Royaume et cette ambiance grandit chaque instant.

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Commentaires

Siddy Koundara Diallo
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Çà pris du temps mais je me suis encore regalé en lecture.
Merci pour ce riche portrait.